Article paru dans Atlantico, le dimanche 13 octobre, 2024

À la fin du mois de juillet, trois médiateurs (le chef du renseignement américain, le chef des services égyptiens et le Premier ministre du Qatar) pensaient être sur le point de parvenir à un accord pour empêcher l’expansion du conflit au Moyen-Orient.

Atlantico : Fin juillet, le chef du renseignement américain, celui des services égyptiens et le Premier ministre du Qatar semblaient proches de conclure un accord pour empêcher l’expansion du conflit au Moyen-Orient. Comment les négociations sur le cessez-le-feu à Gaza ont-elles échoué ?

Fabrice Balanche : Tout au long de l’été, il y a effectivement eu des manœuvres diplomatiques. Ces trois hommes se sont rencontrés dans une villa qatarie privée à Rome pour initier des pourparlers. Cependant, dès le mois d’août, la dynamique a clairement basculé vers une escalade militaire, notamment suite à l’élimination d’Ismail Haniyeh, qui a constitué un véritable casus belli. Mais les négociations ont surtout échoué parce que Benjamin Netanyahou possède un objectif bien précis en tête : la destruction de toute force qui pourrait menacer Israël. Par ailleurs, suite à la résolution 1701 du conseil de sécurité des Nations unies de 2006, on a exigé que le Hezbollah se retire de la frontière, ce que le groupe terroriste a refusé. Cela a offert à Israël des arguments pour une intervention et à Netanyahou une opportunité parfaite pour agir.

Certains responsables américains soupçonnent Netanyahou d’attendre les élections présidentielles américaines avant de réellement agir, espérant une victoire de Donald Trump. Quelle est sa stratégie ? A-t-il cherché à saboter les négociations ?

Lorsque Netanyahou entre dans les négociations, il est clair qu’il n’a pas l’intention qu’elles aboutissent. À un moment donné, il introduit de nouvelles conditions, irritant le Hamas. Son véritable objectif est de protéger Israël. Il considère que la modération vers laquelle le poussent les États-Unis et l’Europe fait le jeu de ceux qui veulent la destruction de l’État hébreu.

Il est évident que Netanyahou espère une victoire électorale de Trump en novembre prochain. Sous la présidence de Trump, Israël a obtenu des gains sans précédent : le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, la reconnaissance de l’annexion du Golan, les accords d’Abraham… Tous les candidats à la présidence américaine avaient promis de transférer l’ambassade, mais seul Trump a tenu parole.

Il est également évident que ce conflit a des répercussions aux États-Unis, notamment dans le Michigan, avec sa forte population arabe, un des swings states qui pourraient déterminer l’issue des élections. Israël cherche à éviter que les puissances occidentales ne viennent freiner ses actions, car il considère que ces dernières sont trop conciliantes, que ce soit face à l’Iran ou à la Russie. Ainsi, Israël pense qu’il ne peut pas compter sur les Occidentaux pour sa défense. Dans cette perspective, Israël voit une opportunité historique de mettre fin à ses ennemis, car, pour eux, c’est une lutte existentielle.

Comment Netanyahou pourrait-il agir ?

Le plan que je vois se dessiner pour Netanyahou est en plusieurs étapes. Premièrement, neutraliser le Hamas à Gaza. C’est presque fait, il a réduit considérablement sa capacité de nuisance. Ensuite, je suis convaincu qu’il a l’intention de pousser les Palestiniens à se déplacer vers l’Égypte.

Cependant, cela prendra du temps. Il faut attendre que, psychologiquement, les Palestiniens soient prêts à partir. Entre-temps, il tourne son armée contre le Hezbollah, qui dispose de 100 à 150 000 missiles et roquettes pointés sur Israël. Le Hezbollah pourrait réitérer ce qu’a fait le Hamas en lançant une offensive terrestre, cette fois-ci en Galilée. Il y a deux ans, certains groupes du Hezbollah avaient déjà tenté de s’infiltrer en Israël, mais ils ont été repoussés. Il est donc crucial pour Israël de neutraliser le Hezbollah et sa capacité de lancer des missiles. Une fois cela accompli, Netanyahou pourrait alors se concentrer sur l’Iran, qui reste la cible principale. Le programme nucléaire iranien, dont on parle trop peu, demeure une obsession pour les Israéliens, ils veulent à tout prix empêcher Téhéran d’acquérir la bombe atomique.

Le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant, a déclaré mercredi que les représailles contre l’Iran pour son attaque de missiles seront « létales, précises et surprenantes ». Faut-il redouter une attaque dans les prochains jours ? Des opérations de grande envergure dans les prochains mois ? 

Il ne serait pas surprenant de voir des frappes israéliennes sur des infrastructures stratégiques en Iran, comme les terminaux pétroliers et les raffineries, dans les jours à venir. Cependant, ce ne sera pas la véritable réponse d’Israël. La réponse décisive contre l’Iran pourrait plutôt venir plus tard, à partir de janvier 2025, si Donald Trump est réélu. Si c’est Kamala Harris qui accède au pouvoir, Netanyahou sera obligé d’ajuster ses plans et Israël pourrait se contenter de frapper la Syrie pour couper les lignes de ravitaillement du Hezbollah, en provenance d’Iran. À défaut de frapper la tête, Israël devrait se contenter de couper les tentacules pour affaiblir l’axe pro-iranien. Cela pourrait provoquer une reprise de la guerre civile en Syrie, mais aurait l’avantage pour Israël de piéger de nouveau les Iraniens et le Hezbollah sur ce front. Dans ce contexte, les négociations diplomatiques apparaissent surtout comme du théâtre.

Il faut savoir que dès le début, la question des otages n’était pas la priorité pour Netanyahou. C’est un changement notable par rapport aux doctrines israéliennes passées : lors de l’affaire Gilad Shalit, capturé en juin 2006 par un commando palestinien, Israël avait dû libérer environ 1 000 prisonniers, dont Yahya Sinwar, qui a ensuite joué un rôle clé dans le massacre du 7 octobre. Finalement, la libération d’un homme a contribué à la mort de 1 200 personnes. Un traumatisme pour Israël.

En 2006, le Hezbollah avait tué des soldats israéliens lors d’une patrouille, déclenchant la guerre des 33 jours. Le Hezbollah avait prétendu que deux soldats israéliens avaient été capturés, ce qui a conduit à des négociations après le cessez-le-feu. Israël a accepté de libérer plusieurs milliers de prisonniers, dont Samir Kountar, un Druze qui avait commis des attentats meurtriers en Israël. Mais en retour, le Hezbollah n’a restitué que des corps de soldats. Les prisonniers libérés, comme Kountar, ont ensuite repris leurs activités terroristes. Kountar, par exemple, a été retrouvé en Syrie, organisant des groupes armés pour le Hezbollah près du Golan. Cette expérience a profondément marqué Israël. Libérer des otages à tout prix ne fonctionne plus, car ceux qui sont libérés peuvent continuer à perpétrer des attaques meurtrières. Et aujourd’hui, les exigences du Hamas sont telles qu’elles incluent un cessez-le-feu, l’absence de représailles, et la libération de milliers de terroristes palestiniens. Netanyahou refuse de reproduire les erreurs du passé, même s’il doit avoir la mort des otages sur la conscience et affronter la mobilisation de leurs familles.