Spécialiste éminent du Moyen-Orient, Fabrice Balanche sillonne les terrains syrien, libanais et irakiens depuis trois décennies. A l’occasion de la parution de son dernier ouvrage (Syrie Liban : communautarisme et pouvoir, Presses Universitaires de Rhin et Danube, 2022) nous sommes allés à sa rencontre.
Interview paru dans Nouvelles d’Arménie Magazine n°302, janvier 2023
NAM : Le communautarisme semble être un héritage du Millet, le système d’auto administration des communautés non sunnites ; est-ce une donnée qui s’applique à l’ensemble des pays issus de l’Empire ottoman ?
L’Empire ottoman est demeuré quatre siècles au Moyen-Orient. Son héritage politique, social et territorial est toujours présent. Son influence est moindre au Maghreb où la colonisation française a retourné profondément l’espace, selon l’expression du géographe Marc Côte (L’Algérie ou l’espace retourné). Dans les Balkans, elle s’est plus rapidement estompée car la domination ottomane fut plus courte. Par ailleurs, nous sommes dans des régions chrétiennes et les Etats qui ont succédé à l’Empire sont largement sécularisés. La Bulgarie, la Roumanie, l’ex-Yougoslavie et l’Albanie ont également subi un système communiste qui s’est efforcé de faire table rase de ce passé. Cependant, nous avons vu avec l’éclatement de la Yougoslavie que le communautarisme avait résisté au nivellement titiste. Pour appréhender ce phénomène, il faut comprendre ce que signifiait exactement le Millet.
Selon le système ottoman, les sujets sont organisés par communauté religieuse, les juifs et les différentes branches du christianisme possèdent leur propre organisation sous l’autorité de leurs élites tandis que les musulmans de toute obédience (sunnite ou chiite) appartiennent au millet musulman : « Umma » (la communauté des croyants). La réalité est plus complexe car des groupes ne sont pas reconnus comme musulmans : les alaouites et les druzes, et vivent en marge de la société. Les chrétiens maronites sont également rejetés car considérés comme schismatiques par les chrétiens Melkites (grecs orthodoxes et catholiques). La répartition des communautés dans l’espace proche-oriental exprime parfaitement la relation qui existe entre l’espace, le pouvoir et les communautés. Les communautés dominantes (les arabes sunnites) et leurs protégés juifs et chrétiens (grecs orthodoxes et catholiques) sont des villes, lieux de pouvoir et de richesses. Elles dominent les meilleures terres tandis que les communautés hétérodoxes (alaouites, druzes, chiites duodécimains, maronites …), souvent persécutées, sont rejetées dans les périphéries : montagnes refuges et marges steppiques.
En Syrie et au Liban, le Mandat Français a enclenché une mutation politique et par conséquent territoriale, qui s’est poursuivie jusqu’à nos jours. Les alaouites en Syrie résident désormais aussi en ville ainsi que les chiites au Liban. La conquête du pouvoir leur a permis d’avoir « droit à la ville », selon l’expression d’Henri Lefebvre. Le moment chrétien est passé au Liban, entre le Mandat Français et la guerre civile, ils ont dominé le pays, mais désormais ils n’ont plus ni le nombre ni le soutien extérieur pour pouvoir le faire. Les sunnites ne sont plus au pouvoir, ce qu’ils n’acceptent pas, car ils l’ont été pendant des siècles et considère cela comme dans l’ordre religieux des choses. C’est le même problème en Irak où les sunnites ne supportent pas d’être relégués au profit des chiites, qui leur rappelle tous les jours qu’ils ont fini par venger Hussein et la défaite de Karbala.
NAM : Pourquoi est-ce que les sciences humaines en France ont-elles autant de mal avec le communautarisme politique dans les études orientalistes ?
Les auteurs d’un rare article scientifique sur le sujet du communautarisme, Vincent Goueset et Odile Hoffman, ont cette réflexion très intéressante sur le sujet : « Ce discrédit à l’égard du communautarisme feint d’opposer pour aller vite, un modèle d’universalisme « à la française » (celui des droits de l’homme) à une dérive vers un communautarisme « à l’américaine », cette accusation étant devenue (…) un procédé récurrent de stigmatisation dans la vie des idées en France ». C’est donc en premier lieu un blocage idéologique vis-à-vis de l’utilisation de ce concept qui empêche les chercheurs d’utiliser le « communautarisme » depuis des décennies. Ensuite, le communautarisme est porteur de menaces et un autre auteur Jean-Pierre Derriennic (Les guerres civiles) possède une phrase très juste pour qualifier l’attitude de la recherche française à l’égard des conflits communautaires : « pour nous autres Occidentaux modernes, individualistes et rationalistes, les conflits identitaires paraissent futiles ou absurdes ». Il leur faut donc du temps pour admettre la réalité communautaire d’un conflit, et même lorsque l’évidence s’impose, on s’évertue à chercher des explications autres. Il suffit de penser à l’ex-Yougoslavie, à la guerre civile en Syrie ou en Irak. Ou bien on nie tout simplement le conflit, on refuse de traiter le sujet, comme nous avons pu le constater avec le Karabagh. Car cela remet en cause la lecture idéologique et largement fantasmée des faits.
Parmi les chercheurs qui travaillent sur le Moyen-Orient, nous sommes peu à utiliser le concept « communautaire ». La plupart des chercheurs, sociologues, politologues et même géographes continuent d’avoir une lecture marxienne sur cet espace, pour ne pas dire « martienne » tant ils sont éloignés de la réalité. Il faut souligner que ces chercheurs font très peu de terrain, même s’ils sont pensionnaires dans un des instituts français de la région. Ils habitent les beaux quartiers et ne fréquentent que des intellectuels locaux qui les confirment dans leurs certitudes. En termes de carrière et de promotion professionnelle, il est d’ailleurs préférable d’adopter ce comportement, car cela ne vous expose pas à la vindicte des collègues militants et des diplomates qui trouvent que votre sujet « sulfureux » nuit à la diplomatie française. Par conséquent, si vous voulez continuer à pantoufler avec un salaire plus que confortable, il est préférable de vous intéresser à des sujets marginaux et indolores. On célèbre Michel Seurat, qui est mort en détention à Beyrouth, mais dans Les corbeaux d’Alep, son épouse décrit les difficultés qu’il avait avec la direction de l’Institut Français en raison de ses sujets de recherche et de son investissement de terrain. J’ai connu les mêmes difficultés pour mener à bien mes travaux. Les problèmes ne venaient pas des autorités syriennes ou libanaises mais de la direction de l’Institut Français du Proche-Orient soumise au Ministère des Affaires Étrangères qui trouvait mes recherches « dangereuses » pour l’institut et la qualité des relations entre la France et la Syrie notamment. En 2006, la direction de l’IFPO avait ainsi décidé de retirer du programme de ses publications mon ouvrage : La région alaouite et le pouvoir syrien . J’ai dû me fâcher et un compromis fut trouvé : le nom de l’IFPO n’apparaîtrait pas et aucune promotion ne serait faite.
NAM : En 2011 -2015 vous aviez été la cible d’un lynchage en règle par une grande partie de la communauté des chercheurs français sur l’Orient et une grande partie des médias parisiens. Pourquoi cette obstination alors que vous n’avez jamais « flirté » avec le pouvoir syrien et que l’on vous refuse un visa d’entrée en Syrie depuis 2016 ?
Dans mon ouvrage La région alaouite et le pouvoir syrien, ma conclusion sur l’avenir de la Syrie et du régime de Bachar el-Assad est très pessimiste. Je décris un processus comparable à la Yougoslavie de l’après Tito. « Pourra-t-il (Bachar al-Assad) assurer la transition entre le « dirigisme économique » de son père et le « capitalisme des copains » avec succès, c’est-à-dire sans provoquer un mécontentement social dont pourraient profiter ses ennemis pour le chasser du pouvoir ? ». Quelques années plus tard, ce scénario est réalisé. Mais en 2011, on s’est mis à me reprocher mon réalisme quant à l’inévitable montée en puissance des islamistes. Mes analyses sur le conflit étaient portées par vingt ans de recherche sur le terrain syrien où j’ai vécu 6 ans dans les années 1990. A partir de 2011, il est plus difficile de se rendre en Syrie, mais je suis tout de même parvenu à obtenir des visas pour visiter régulièrement la zone gouvernementale entre 2011 et 2016. C’était très risqué de voyager dans le pays à cette époque, j’ai un souvenir particulièrement tendu de la traversée du Qalamoun, en octobre 2013, où l’autoroute était sous le feu des rebelles entre Damas et Homs. Ce fut aussi une après-midi d’angoisse lorsque nous étions perdus dans la steppe à l’Est de Homs, lors d’une visite du front face à Daesh en juin 2015. Mais tout cela était indispensable pour comprendre pourquoi le régime de Bachar al-Assad tenait. Enfin, j’ai pu, à l’instar de nombreux journalistes, rencontrer Bachar al-Assad, ce qui m’a notamment conforté dans l’idée qu’il ne quitterait le pouvoir que mort, alors que régulièrement les médias français annonçaient sa fuite vers la Russie. Pour faire ses enquêtes, j’ai pris beaucoup de risques physiques, comme je l’ai expliqué dans « Etre chercheur en temps de guerre en Syrie« . Nous sommes très peu à l’avoir fait. Et c’est sans doute ce qui énerve le plus mes détracteurs, qui eux sont restés boulevard Saint Michel à donner des leçons. Lorsqu’on ne peut pas avancer des arguments sérieux, on salit la réputation de l’autre, c’est assez classique.
Après 2016, je n’ai plus obtenu de visa pour la Syrie. Le régime de Bachar al-Assad s’est sans doute rendu compte que si je disais qu’il n’allait pas tomber sans intervention extérieure, ce n’était pas parce que j’étais subjugué par le « raïs » mais tout simplement parce que j’étais réaliste, or cela pouvait bien sûr se retourner contre lui. En avril 2017, lorsqu’il y a eu une attaque chimique à Khan Sheykhoun, au nord de Hama, j’ai expliqué pourquoi cela ne pouvait être que l’armée syrienne qui avait cela. Il est clair également que le régime syrien a commis l’attaque chimique de la Ghouta en août 2013 et bien sûr qui a fait assassiner le premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005. Mais je suis également sans illusion quant à la brutalité et la rouerie des rebelles syriens, qui ont commis des crimes horribles avec certes moins d’ampleur, mais simplement parce qu’ils ne disposaient pas des moyens techniques pour dépasser son adversaire dans la brutalité. Or, la plupart des médias français avaient un parti pris très anti-Assad dans le conflit syrien, en particulier Le Monde, Libération, Médiapart et divers sites internet qui puisaient leurs informations exclusivement dans l’oppositions syrienne avec une prime pour le fameux « Observatoire Syrien des Droits de l’Homme » basé à Londres et dirigé par un Frère Musulman.
NAM : Que reprochez-vous exactement à Edward Saïd ? Sa vision totalisante de l’Orientalisme synonyme d’impérialisme ?
Les critiques d’Edward Saïd contenues dans L’Orientalisme à l’égard des chercheurs occidentaux contribuent à la censure et à l’auto-censure des recherches sur le « communautarisme » au Proche-Orient. Pour Edward Saïd nous ne serions que l’avant-garde de l’impérialisme occidental dans le but de dominer le monde arabe et musulman : « Mais je dis bien que la guilde des orientalistes a été historiquement la complice du pouvoir impérial, cet ce serait faire preuve d’une bienveillance béate que de soutenir que cette complicité est sans incidence » (L’Orientalisme, Paris, 2003, p. 318). Enfin Edward Saïd dénigre le niveau de connaissance disciplinaire des chercheurs occidentaux : « Je suis en train de décrire quelque chose qui caractérise l’orientalisme islamisant aujourd’hui : une position réactionnaire comparée aux autres sciences de l’homme, son retard général du point de vue méthodologique et idéologique, et sa relative insularité vis-à-vis des développements qui se produisent à la fois dans les autres sciences humaines et dans le monde réel ».
Il aurait dû s’interroger sur l’investissement des chercheurs occidentaux, au lieu de se lancer dans une critique systématique de leurs travaux. Il faut rappeler qu’Edward Saïd était professeur de littérature anglaise à Columbia. Il avait fait l’essentiel de ses études secondaires et de ses études universitaires aux Etats-Unis. Ses écrits sur le Moyen-Orient sont des essais politiques, c’est-à-dire des réflexions basées sur une représentation à distance d’une région qu’il a quitté très tôt. Il n’a pas passé des années sur le terrain pour comprendre la réalité, il ne s’est pas plongé dans les archives pour apporter les preuves de ce qu’il avançait. Mais il se considérait en tant qu’Arabe comme plus qualifié que n’importe quel occidental pour traiter de ces questions. Ils accusent les chercheurs occidentaux d’intentions impérialistes dans le but de les disqualifier davantage. Edward Saïd culpabilisait, dénonçait, lançait l’anathème sur les spécialistes de l’Orient, tels que Bernard Lewis et Fouad Ajami. Il exerçait un terrorisme intellectuel qui n’a rien à envier à celui des islamo-gauchistes actuels et qui continuent à s’inspirer des thèses d’Edward Saïd.
NAM Quel regard portez-vous sur le rôle politique de la communauté arménienne en Syrie et au Liban ?
Les Arméniens au Liban ont eu un rôle très différent de ceux qui étaient en Syrie. C’est bien sûr lié à la nature des régimes politiques et à l’architecture communautaire. Au Liban, les Arméniens ont toujours eu des députés au Parlement qui avaient un réel pouvoir tandis qu’en Syrie les députés arméniens comme l’ensemble du parlement n’a qu’un rôle symbolique. Les Arméniens ont véritablement participé à la construction du Liban moderne et tenté de le stabiliser. Durant la guerre civile libanaise, ils avaient un rôle d’intermédiaire entre les musulmans et les chrétiens, car ils ont réussi à conserver une stricte neutralité, même si certains jeunes arméniens ont combattu dans les rangs des milices chrétiennes. En Syrie, les Arméniens avaient plus le statut de réfugiés permanents, même si des communautés comme celle de Kessab ou d’Alep étaient présentes depuis toujours. Les Arméniens faisaient profil bas en Syrie et étaient bien considérés par le régime baathiste, c’était la seule communauté qui avait le droit de parler sa langue et de l’enseigner dans ces écoles. Dès le début de la guerre civile, les Arméniens ont pris parti pour le gouvernement syrien. Par reconnaissance pour la protection qu’il leur a toujours apporté mais aussi parce qu’ils étaient sans illusion sur le caractère islamiste de l’insurrection. La guerre civile a porté un rude coup à la communauté arménienne. Il ne resterait plus que 10,000 Arméniens à Alep contre 150,000 en 2011. Les quartiers arméniens étaient à proximité de la ligne de front, ils ont subi les assauts et les bombardements continus des rebelles.
NAM : Quels éléments de distinction et de convergence notez-vous ?
En Syrie, les Arméniens ne représentaient que moins de 1% de la population dans un système politique verrouillé par l’autoritarisme tandis qu’au Liban pour un nombre équivalent ils constituaient 5% de la population libanaise, très concentrée à Beyrouth ce qui leur permettaient de peser davantage car ils étaient l’élément indispensable des majorités parlementaires. Dans les deux pays, les Arméniens constituent des communautés très unies qui ont pu défendre leur identité et leurs intérêts. Leur savoir-faire est reconnu, que cela soit dans la mécanique, le commerce, la restauration ou la médecine, ils sont très appréciés par tous. Dans la petite ville de Tel Abyad au nord de la Syrie, je me souviens avoir rencontré en 2018 les dernières familles arméniennes, tout au plus une centaine de personnes alors que 2,000 Arméniens vivaient encore là en 2011. Tout le monde déplorait leur départ, car ils excellaient dans diverses professions et contribuaient à la prospérité de Tel Abyad et de sa région. Au Liban, c’est la même chose, je faisais toujours réparer ma voiture à Borj Hamoud, car j’étais sûr que le travail allait être excellent et que le garagiste n’allait pas m’escroquer. Mais les Arméniens quittent aussi le Liban en masse car ils ne se reconnaissent plus dans ce pays en faillite où les Chrétiens sont en plus menacés par l’islamisme. Le processus historique d’élimination des chrétiens du Proche-Orient, ponctué par des tueries à grande échelle comme celui de Damas du Liban en 1861, les massacres Hamidiens de 1894 de puis ceux de Cilicie en 1909 et enfin le génocide arménien de1915, se poursuit. Voilà le principal point de convergence entre la Syrie et le Liban.
NAM : Pourquoi à votre avis les Arméniens d’Alep et de Kessab ont échoué à pratiquer une politique d’auto-défense à l’instar de leurs compatriotes du Liban pendant la guerre civile de 1975-1990 ?
La principale explication est la démographie. Comment voulez vous défendre Kessab, un groupe de villages peuplé de seulement 3,500 habitants, coincé entre une Turquie, qui rêve d’éradiquer les dernières traces de l’Arménie Occidentale, et une campagne turkmène hostile qui n’aspire qu’à s’emparer des biens des Arméniens. En mars 2014, lorsque la Turquie a lancé l’assaut sur Kessab, les quelques dizaines de jeunes arméniens qui avaient constitué une milice d’auto-défense furent incapables de se défendre face aux jihadistes venus de Turquie d’un côté et aux rebelles turkmènes de l’autre. Ils ont été submergés et n’avaient d’autre choix que d’évacuer Kessab avant que la route de Lattaquié ne soit coupée. A Alep, la milice arménienne est parvenue en juillet 2012 à protéger le quartier de Midan puis à repousser aussi les rebelles de Jdaidé, le quartier chrétien voisin. Mais au fil des mois, la population arménienne a commencé à quitter Alep pour l’Arménie, le Liban ou l’Europe. Cela ne servait plus à rien de défendre un quartier vide. Les combattants arméniens ont quitté eux aussi Alep. Au Liban, les quinze années de guerre n’ont pas causé une telle hémorragie démographique. Les deux camps étaient plus équilibrés, et il existait toujours un espoir de rebâtir un pays où les Chrétiens seraient en sécurité. Au contraire, les chrétiens ont eu le sentiment très tôt que la Syrie ne pourrait plus leur assurer la sécurité qu’ils avaient connus jusque-là. Bachar al-Assad est resté au pouvoir, mais le pays n’est pas à l’abris d’une nouvelle insurrection islamiste dans le futur. Par ailleurs, Alep a connu une situation bien plus dramatique que Beyrouth durant cette guerre, et tous ceux qui en avaient la possibilité ont préféré partir.
NAM : Dans quelle mesure le Liban est un laboratoire qui nous aide à comprendre la France d’aujourd’hui ?
Une grande hypocrisie règne à l’égard du communautarisme que cela soit au Liban ou en France. Les Libanais possèdent le système politique le plus communautaire au monde, ils ont subi 15 ans de guerre civile communautaire, leur quotidien est marqué le communautarisme ambiant jusque dans la nomination du moindre fonctionnaire et tous les mouvements sociaux se fracassent sur le mur du communautarisme, mais officiellement cela ne serait qu’un détail. Cependant, ne jetons pas la pierre aux Libanais, car nous ressemblons de plus en plus au Liban en France. Lors des élections municipales, certaines têtes de listes s’efforcent de présenter des candidats de la « diversité », qui ne sont en fait que la représentation d’intérêts communautaires. Ces derniers réclament ensuite des avantages pour leur communauté, que cela soit des logements, des menus spéciaux dans les cantines scolaires, une séparation homme femme dans les piscines, etc. Si le maire refuse, ils iront apporter leurs voix à l’opposition. Tout cela provient du fait que nous accueillons une masse d’immigrants venus de société au fonctionnement communautaire et qui refusent de s’assimiler. Leur domination démographique dans certaines banlieues conjuguée à la lâcheté et à l’opportunisme d’élus locaux prêts à vendre la laïcité pour conserver le pouvoir, aboutit une fragmentation du territoire comparable à ce qui existe au Liban. Il vous suffit de passer d’un quartier à l’autre en banlieue lyonnaise ou parisienne pour avoir l’impression d’être à Beyrouth, comme lorsqu’on passe de Badaro (quartier chrétien) à Tariq Jedid (quartier sunnite). Souvenons-nous de ce qu’a dit Gérard Collomb, lorsqu’il a quitté le ministère de l’intérieur en 2018 : « Aujourd’hui on vit côte à côte … je crains que demain on vive face à face ». Or, nous sommes déjà face à face, la descente des extrémistes turcs à Décines, en juillet 2020, qui visaient la communauté arménienne ou les violences et les actes anti-français auxquels nous assistons après la victoire au football d’un pays du Maghreb en sont des exemples éloquents.
Propos recueillis par Zaven Djandjikian