Par Fabrice Balanche, Le Figaro Vox, Jeudi 12 décembre 2024
TRIBUNE – Après la chute de régime de Damas, les Kurdes de Syrie sont à nouveau acculés par l’«Armée nationale syrienne», sous le joug des Turcs, analyse le géographe spécialiste du Proche-Orient. Et Erdogan ne fait pas mystère de sa détermination à les anéantir, ajoute-t-il.
Abou Mohammed al-Joulani paraît le mieux placé pour s’emparer du pouvoir à Damas, après un simulacre de processus institutionnel et « démocratique ». Il va devoir mettre au pas les autres factions islamistes qui ne manqueront pas de contester sa prééminence. Tous étaient unis contre Bachar al-Assad, mais désormais, ils se regardent en chien de faïence, prêts à s’affronter. Il faut donc trouver un nouvel ennemi pour les rassembler. Les Kurdes constituent une cible toute désignée pour cela. Les bandes proturques qui constituent la soi-disant « Armée nationale syrienne » (ANS) se sont déjà emparées de Manbej, ville délivrée de Daech par les Forces démocratiques syriennes (FDS) en 2017. Deir ez-Zor et la rive droite de l’Euphrate, brièvement occupées par les FDS après le départ des milices chiites pro-iraniennes et de l’armée syrienne, ont été rapidement reprises par différentes factions arabes liées au nouveau régime à Damas.

La mosaïque syrienne le 11 décembre 2024

Les riches champs pétroliers d’al-Omar (70 % de la production syrienne), située sur la rive gauche de l’Euphrate, contrôlés par les FDS et les troupes américaines depuis 2017, sont en ligne de mire. Les États-Unis ont demandé aux rebelles de ne pas s’attaquer à la zone de l’Administration Autonome du Nord et de l’Est syrien (AANES), le territoire des FDS, tout du moins de rester sur la rive gauche de l’Euphrate, le fleuve devenant la nouvelle frontière interne. Mais que se passera-t-il si HTS et ses alliés djihadistes décident de le faire ? Les forces américaines entreront-elles en conflit avec eux pour protéger les Kurdes ? Les populations arabes de l’AANES supportaient le pouvoir kurde parce qu’elles n’avaient pas envie de retomber sous le joug du régime de Bachar al-Assad.

Désormais, les tribus arabes expriment clairement leur volonté de rejoindre la nouvelle Syrie au détriment d’une région autonome kurde. Des portraits d’Abdullah Ocalan ont déjà été détruits à Raqqa, ville à plus de 80 % arabe. Les États-Unis ne soutiendront pas le gouvernement kurde de l’AANES face au soulèvement des Arabes, qui n’ont jamais porté dans leur cœur les Kurdes. Au Nord, la Turquie ne fait pas mystère de sa détermination à anéantir l’entité kurde. Elle a commencé à bombarder la ville de Kobané, symbole de la résistance kurde face à Daech. Depuis 2018, date de l’offensive turque contre Afrin, Ankara n’a eu de cesse de détruire le projet kurde, mais également de pratiquer une épuration ethnique à leur égard. Afrin a été vidé des deux tiers de sa population kurde et ceux qui restent sont soumis à un harcèlement continu de la part des factions islamistes qui contrôlent la région pour les obliger à partir et s’emparer de leurs biens, puisque les habitations laissées vacantes sont occupées par leurs familles. La même chose s’est produite à Tell Abyad et Ras al-Aïn en 2019. Les Kurdes ne nourrissent guère d’illusion sur ce qui les attend dans les prochaines semaines. Erdogan, fort de son succès en Syrie, va profiter de la période de transition politique à Washington pour mettre Donald Trump devant le fait accompli lorsqu’il deviendra officiellement président, le 20 janvier 2025. Nous risquons d’assister à la fin de l’aventure kurde en Syrie et à un exode massif.