Les massacres commis contre les alaouites début mars 2025 ont causé la mort de plusieurs milliers de personnes. Une cartographie des massacres permet de mieux comprendre les raisons des commanditaires et le déroulé des opérations. 

Article paru le 25 mars 2025 dans la revue Conflits

Le bilan des massacres d’alaouites dans la région côtière, en mars 2025, ne pourra probablement pas être établi avec précision. Les seules informations dont on dispose deux semaines après ces tragiques évènements sont les chiffres fournis par l’OSDH, qui fait état de 1376 victimes civiles entre le 6 et le 9 mars. Il est important de noter que les violences ont débuté dès le 4 mars dans le quartier alaouite de Daatour, à Lattaquié, et qu’elles se sont prolongées au-delà du 9 mars, bien que leur ampleur ait diminué. D’autres sources non officielles font état de près de 5000 morts. Par conséquent, les 1 376 victimes comptabilisées par l’OSDH peuvent être considérées comme l’estimation minimale.

Notre collègue Pierre Valty a créé une carte des massacres à partir des informations de l’OSDH sur Google Maps (disponible en cliquant ici). Cette ressource précieuse nous a servi de base pour élaborer la carte de synthèse illustrant cet article. Cette carte n’est pas une représentation formelle des données de l’ONU ou de la commission d’enquête établie par le nouveau régime à Damas. Elle est plutôt une évaluation de la situation en s’appuyant sur les données de l’OSDH, dans le but de saisir les raisons du massacre.

Les massacres dans la région alaouite-mars 2025 Fabrice Balanche

Tout d’abord, la carte montre que la région nord de la plaine côtière entre Banias et Lattaquié compte le plus grand nombre de victimes. La ville de Banias a été le théâtre d’un massacre avec 315 morts recensés, en particulier dans le quartier alaouite d’al-Qoussour. Deux villages situés en arrière-pays ont particulièrement souffert : al-Mukhtaryeh et Brashbo, près de l’autoroute reliant Alep à Lattaquié. C’est le village de Snobar, dans la banlieue de Lattaquié, qui a compté le plus grand nombre de morts (154).

À l’écart de cette région, les meurtriers se sont déchaînés près de Masyaf, une ville alaouite, ismaélienne et chrétienne, faisant 88 morts à Rassafa. Des atrocités ont également été commises dans la plaine du Ghab, entre Tel Salhab et Shatha. Cette zone est très vulnérable car au contact de la Syrie intérieure sunnite et la violence d’Etat rencontre celles des populations locales qui souhaitent s’emparer des terres alaouites. Le sud de la montagne alaouite a connu moins de victimes, notamment dans les districts de Tartous, Safita, Dreykish et Cheikh Bader. Les villages de la haute montagne alaouite ont également été le théâtre de massacres sporadiques, mais sans commune mesure avec ceux du littoral. Le relief constitue toujours une protection naturelle et les supplétifs de HTS se sont bien gardés de s’y engager. Ils ont laissé une traînée de sang entre Banias et Masyaf de part et d’autre de cet axe majeur qui traverse la montagne.

La concentration de massacres sur le littoral, facilement accessible par la route, entre Lattaquié et Banias montre la responsabilité des forces de sécurité du nouveau régime syrien. Les autorités ne pouvaient pas ignorer les événements qui se déroulaient dans leur région, car elles disposaient de postes de police à Lattaquié, Banias et Jableh. C’était aussi le cas dans la plaine du Ghab, entre Massyaf, Tel Salhab et Jesser al-Shoughour. Les groupes prétendument « irréguliers » ont donc agi sous la supervision des forces de sécurité du nouveau régime.

La concentration des massacres de grande ampleur dans le nord de la région alaouite pourrait corroborer la thèse officielle du nouveau régime à Damas, qui affirme qu’il s’agit d’une répression contre une « insurrection fomentée par les fidèles de l’ancien régime ». Il est vrai que c’est dans cette région que l’ancien régime recrutait majoritairement ses forces de sécurité, tandis que le sud de la région alaouite, situé plus loin du clan Assad, servait principalement de réservoir de fonctionnaires civils. Il est faux de croire que la violence a éclaté le 6 mars, comme l’affirme Damas. En réalité, elle a commencé le 4 mars avec l’assaut du quartier alaouite de Daatour par les forces du HTS, suivi le lendemain par l’attaque du village sacré de Dalyeh. La soi distant « insurrection » n’était autre qu’une réaction de défense des alaouites. Certes, parmi les plus déterminés figuraient d’anciens militaires et membres des services de sécurité, qui ne voulaient pas se laisser arrêter. Ils n’avaient en effet pas la capacité offensive nécessaire pour s’emparer de la région côtière et y créer un « réduit alaouite ».

La violence des nouvelles autorités islamistes fut indiscriminée : des femmes, des enfants, des personnes âgées furent massacrés. Ce sont principalement les jeunes hommes qui ont été visés. Ce n’était pas parce qu’il avait appartenu ou aurait pu appartenir à l’armée et aux services secrets du régime précédent, mais bien parce que la communauté alaouite devait être anéantie. Maintenant, les hommes alaouites savent qu’ils peuvent être exécutés pour leur affiliation confessionnelle, ils doivent donc fuir le pays pour préserver leur vie. Les femmes et les enfants les accompagneront ou les rejoindront. Voilà la principale raison de ces massacres : l’épuration ethnique envers une communauté accusée d’être complice du régime des Assad et la haine religieuse.