Les alaouites sont les victimes de la vengeance des islamistes après 13 ans de guerre et d’un demi-siècle de répression du régime Assad à leur égard. Ils sont également haïs en raison de leur croyance considérée comme hérétique. Si les Juifs et les chrétiens sont tolérés, en revanche, les alaouites doivent être éradiqués pour les islamistes sunnites.
Ce qui se déroule dans la région alaouite, depuis quelques jours, n’est pas une simple chasse aux partisans du régime d’Assad. En réalité, les alaouites qui ont pris les armes pour se défendre ne sont pas manipulés par l’Iran, comme le prétend le nouveau régime islamiste à Damas. Depuis trois mois, ils subissent de l’humiliation et des exactions. Des meurtres restent non élucidés, des fonctionnaires et des militaires ont perdu leur emploi. Les injures et les provocations sont monnaie courante dans les villes côtières, à Homs et à Damas envers cette communauté.
Le 4 mars, le quartier de Daatour, à Lattaquié, a été encerclé par les forces de sécurité du groupe HTS. Il a ensuite été attaqué à l’arme lourde et envahi par des combattants cagoulés qui ont fait des morts et des arrestations arbitraires. Mercredi 5 mars, le village de Dalieh, situé à l’arrière-pays de Banias, a été attaqué par des hélicoptères larguant des barils de dynamite et des combattants venus de Hama et Idleb. Il est important de noter que ce village est un lieu saint pour les alaouites. Il compte plus d’une centaine de mausolées que les salafistes veulent démolir.

Latakia-Fabrice Balanche
Des affrontements ont éclaté jeudi 6 et vendredi 7 mars dans les villages environnant Lattaquié et Jableh. Trente jeunes hommes ont été tués à Murtakhieh, et des dizaines d’autres ont perdu la vie dans divers endroits. Des milliers de combattants islamistes convergent vers la région alaouite pour « assurer l’ordre » mais en réalité participer au massacre. Ahmad al-Sharaa prétend que les exactions sont le fait d’éléments incontrôlés, comment pourrait-il en être autrement ? Le régime récemment instauré montre son vrai visage.
Son but est de mettre en place une République islamique centralisée et autoritaire, où il sera le dirigeant incontesté. Il rejette catégoriquement l’idée d’un gouvernement « inclusif » ou d’une quelconque autonomie régionale, et ne tolère aucun respect pour les minorités. Le processus de dialogue national n’était en réalité qu’un monologue national, une façade pour convaincre les Occidentaux et les monarchies pétrolières du Golfe de lever les sanctions économiques et de leur accorder une aide financière. Il a besoin d’argent pour unifier les différentes factions islamistes et régler ses comptes avec celles qui s’opposent à sa dictature. La relance de l’économie syrienne et la reconstruction ne seront pas une priorité immédiate. Ainsi, pour détourner l’attention de la population qui ne constate aucune amélioration de son quotidien, la suppression de la « rébellion des partisans d’Assad » constitue une occasion en or.
Si les massacres de civils se multiplient dans la région alaouite, une force d’interposition turque pourrait y être déployée. Il ne faut pas oublier les ambitions territoriales d’Ankara sur le nord de la province de Lattaquié, qui faisait auparavant partie du Sandjak d’Alexandrette avant d’être cédé par la France à la Turquie kémaliste en 1939.
En conclusion, il est clair que le processus de réunification du territoire syrien par la négociation et à travers un gouvernement « inclusif » est bel et bien mort. Les Druzes, les Kurdes, les factions sunnites opposées à HTS et tous ceux qui ne veulent pas d’une République islamique d’al-Sharaa savent ce qui les attend s’ils déposent les armes. Une solution fédérale devient donc plus que nécessaire afin de préserver les droits des minorités et d’éviter qu’un nouveau régime autoritaire ne s’impose sur tout le pays. Sans cela, la guerre civile reprendra et provoquera de nouvelles vagues de départs, car un processus d’épuration religieuse, ethnique et politique se mettra en place, comme je l’ai expliqué dans cet article : Rebuilding Syria May Require Federalism