Le 26 juin 2024, j’ai eu l’honneur de recevoir le prix du livre géopolitique pour mon dernier ouvrage : Les leçons de la crise syrienne. Il m’a été remis par le Président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée Nationale, Jean-Louis Bourlanges. La cérémonie était animée par Frédéric Encel, Docteur HDR en géopolitique, Professeur de relations internationales et de sciences politiques, Maître de conférences à Sciences Po Paris, elle s’est tenue dans les jardins de l’Hôtel de Brienne qui abrite les bureaux du Ministre des Armées, Sébastien Lecornu en présence des finalistes et du jury.

Une aventure personnelle et collective

Ce livre c’est une aventure personnelle qui se déroule depuis 1990, date mon premier séjour en Syrie. Mais c’est surtout une œuvre collective. Je dois remercier en premier lieu, Gilles Kepel, qui m’a aidé et encouragé à rédiger cet ouvrage, et surtout pour son admirable préface : « Le sommeil de la raison engendre les monstres ». Elle résume parfaitement la grande myopie occidentale à l’égard de la crise syrienne, mais aussi d’autres conflits et de l’agressivité russe, que nous avions déjà pu mesurer en Syrie.

Ce livre n’aurait pas pu voir le jour sans le soutien d’Odile Jacob et de Bernard Gotlieb. L’accueil qui m’a été fait chez Odile Jacob fut des plus bienveillant et je dois saluer le travail remarquable de l’équipe qui a fabriqué et promu le livre, en particulier Marc Kirsh et Cécile Andrier-Taverne.

Il me faut aussi remercier, tous ceux qui, depuis mon doctorat sur la région alaouite et le pouvoir syrien, m’ont soutenu dans mes recherches, parmi eux Pierre Signoles, mon directeur de thèse, Marc Lavergne, mon garant d’HDR, Gérard Chaliand, dont les livres et la méthode m’ont tant inspiré. Cet ouvrage est aussi la conséquence de trois années à Washington en tant que chercheur invité au Washington Institute for Near East Policy et à la Hoover Institution de l’Université de Stanford.

Les yeux grands ouverts sur le réel

Les leçons de la crise syrienne constitue avant tout un travail de terrain dans un Moyen-Orient où j’ai vécu 10 ans. Ce qui est à mon sens, la principale condition pour tenter d’appréhender cette région convenablement. C’est donc une étude basée aussi sur l’expérience de la guerre, au Liban en 2006, et durant mes nombreux séjours en Syrie depuis 2011, où je n’aurais jamais dû me rendre si j’avais suivi les consignes de sécurité de l’université.

C’est malheureusement un des multiples biais de l’université française, car elle décourage les chercheurs de se rendre sur le terrain, empêchant ainsi la collecte d’informations précieuses. Désormais, il est préférable d’adopter une vision hors sol et forcément très idéologique. Le wokisme prospère sur la déconnexion entre les études et le réel. Comme je l’explique dans l’introduction, j’ai été vacciné contre toute idéologie après un voyage en URSS lorsque j’avais 19 ans. Depuis cette année 1988, j’ai toujours gardé mes yeux en grand ouverts sur le réel, privilégiant une géographie pratique, à une histoire réécrite au gré des vents dominants.

Les leçons de la crise syrienne sont le fruit d’une réflexion sur ce conflit au jour le jour, mais également de 30 années de recherche sur le Moyen-Orient avec une approche de géographe : une démarche multiscalaire qui privilégie le contact du terrain. Or, en temps de guerre, les missions in situ nous font prendre conscience que les outils de sciences humaines et sociales classiques, utiles pour comprendre les causes d’un conflit, ne fonctionnent plus en période de violence. Il faut employer d’autres approches et notamment celles des militaires qui maîtrisent parfaitement le sujet. Dans ce livre, je me suis donc beaucoup appuyé sur David Gallula, cet officier français qui élabora un magistral traité de contre-insurrection à la suite des guerres d’Indochine et d’Algérie.

Des analyses dérangeantes mais indispensables

Durant le conflit syrien, mes analyses ont souvent été vilipendées parce que je doutais que le régime chute par la simple contestation intérieure. Ce qui signifiait que si l’Occident voulait le départ d’Assad, il lui fallait intervenir directement à l’image des États-Unis en Irak et rester ensuite une dizaine d’années pour assurer la stabilité du pays. Le simple soutien logistique à la rébellion ne pouvait qu’aboutir à son échec et plonger la Syrie dans le chaos avec le risque d’en faire un jihadistan. Pour cela, je dois rendre hommage à Jean-Dominique Merchet, qui très tôt m’a ouvert les colonnes de l’Opinion pour faire part de mes analyses dérangeantes au sujet de cette guerre.

Expliquer en 2011-2012 que Bachar al-Assad n’allait pas tomber, ce n’était pas être pro-Assad, mais tout simplement faire preuve de réalisme en s’appuyant sur de bonnes informations. Jean-Dominique Merchet vient de publier un remarquable ouvrage : Sommes-nous prêts pour la guerre ? Il n’est évidemment ni pro-russe ni défaitiste en posant cette question, mais il tente lui aussi de réveiller la raison du peuple français avant que son sommeil prolongé n’engendre de nouveaux monstres.