Par Amaury Coutansais-Pervinquière, publié dans le Figaro, le 26 janvier 2025
ENTRETIEN – La trêve entre Israël et le Hezbollah prend fin ce dimanche. Depuis son entrée en vigueur, le Liban a un président et un premier ministre. Un « déblocage directement lié à la défaite du Hezbollah et de l’axe iranien dans la région », selon le chercheur.
Fabrice Balanche est maître de conférences en géographie à l’Université Lyon-2. Ce spécialiste du Proche-Orient est l’auteur de Les leçons de la crise syrienne (Odile Jacob, 2024).
LE FIGARO.- Ce dimanche se termine la trêve entre le Hezbollah et Israël. L’armée israélienne a annoncé toutefois demeurer au Sud-Liban au-delà de cette date. Que retenir de ces deux mois de cessez-le-feu ?
Fabrice BALANCHE. – L’armée libanaise et la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) se déploient dans le sud du Liban et le Hezbollah a quitté, au moins officiellement, la zone. La chute du régime de Bachar Al-Assad en Syrie a montré la défaite majeure de l’Iran dans la région. Le Hezbollah ne peut donc se permettre de rester au Sud-Liban, d’autant qu’il ne bénéficie plus d’un soutien militaire iranien. Rester aurait été suicidaire pour l’organisation.
L’élection de Joseph Aoun à la présidence de la République le 9 janvier, après deux ans de vacance, puis la nomination de Nawaf Salam comme premier ministre ont montré l’affaiblissement du rôle de l’Iran et du Hezbollah dans la politique libanaise. Ainsi, le président Aoun avait convoqué tous les partis politiques après son élection pour recueillir leur proposition sur un éventuel premier ministre, comme le veut la pratique politique libanaise. Le Hezbollah, comme le mouvement chiite Amal, a d’abord demandé un délai supplémentaire pour venir au palais présidentiel.
Mais Joseph Aoun leur a dit en substance : si vous ne venez pas, on se passera de votre avis. Ils ont finalement trouvé rapidement un créneau pour se rendre au Palais. La composition du gouvernement devant refléter l’équilibre communautaire, elle réserve donc une place aux chiites. Les deux mouvements, qui veulent conserver le tiers de blocage (une pratique qui permet d’empêcher une décision si un tiers du gouvernement s’y oppose, NDLR), n’ont pas voulu être remplacés par d’autres personnalités chiites indépendantes.
La trêve a donc permis l’élection d’un président et la nomination d’un premier ministre, malgré un blocage depuis deux ans. Ce déblocage est directement lié à la défaite du Hezbollah et de l’axe iranien dans la région.
Peut-on dire qu’Israël a atteint ses objectifs au Liban ?
Les buts de guerre d’Israël n’ont pas été clairement énoncés. Leur premier objectif était le respect de la résolution 1701 de l’ONU, qui prévoit l’évacuation des milices armées du Sud-Liban et son remplacement par la Finul et l’armée libanaise. Ce qui se déroule actuellement. Israël, cependant, veut des garanties sur le long terme que le Hezbollah ne mettra pas à profit la paix pour reconstituer son arsenal et inflitrer, à nouveau, le Sud-Liban comme entre 2006 (à la suite de la guerre des 33 jours, NDLR) et 2023.
Le Hezbollah n’est pas mort, il possède toujours ses armes. Pour le désarmer, il faudrait que l’armée libanaise soit dévouée à l’État libanais. Or, elle est infiltrée par le mouvement chiite. Toutefois, il apparaît qu’il ne possède plus son arsenal de missiles et de roquettes. En réalité, s’il venait à toucher le territoire israélien, Tsahal conduirait de nouvelles frappes afin d’accélérer la démilitarisation du Hezbollah. Ce dernier, comme Amal, va faire profil bas pendant deux ans, jusqu’aux élections législatives et faire augmenter le mécontentement populaire pour les gagner.
En à peine quelques mois, le puissant mouvement du Hezbollah a été affaibli, un président de la République a été élu… Que cela présage-t-il pour le Liban ?
Cela présage un Liban en voie de sortie de l’orbite iranienne. Le Hezbollah ne peut plus imposer sa volonté politique. On peut espérer que les forces libérales pro-occidentales prennent le dessus, que la confiance chez les investisseurs, notamment la diaspora libanaise, revienne et permette à l’économie de redémarrer. Si la population ne voit pas d’améliorations économiques, il pourrait y avoir de fâcheux développements, surtout dans la population sunnite du Nord. Elle est touchée par une grande pauvreté et est travaillée par certains groupes islamistes assez puissants, et inspirés par la situation syrienne.
La Syrie des Assad père et fils a toujours exercé a minima une forte influence au Liban. Comment le Liban appréhende-t-il les suites de la chute de Bachar Al-Assad ?
Personne ne sait où va le nouveau régime syrien. Abou Mohamed al-Jolani reçoit diplomates et politiques afin de gagner en respectabilité, permettre la levée des sanctions, et bénéficier des fonds du Golfe et de l’Occident. Sans argent, il n’unifiera pas les factions islamistes autour de lui, et rapidement il pourrait y avoir du mécontentement, puis un scénario à la libyenne avec une fragmentation du pays. Toutefois, s’il parvient à ses fins, la Syrie deviendra une dictature islamiste centralisée. Dans ce cas, des Chrétiens ou des séculiers, refusant de vivre sous une dictature religieuse, pourraient fuir vers le Liban pour faire fructifier leurs affaires. Une telle situation s’était produite dans les années 50 quand le Liban avait accueilli tout une bourgeoise, surtout chrétienne, d’Égypte, de Syrie et d’Irak qui devenaient des dictatures séculières et socialistes.
Le rigorisme musulman pourrait alors être favorable à l’économie et au tourisme libanais. Enfin, si le régime a changé, la géopolitique, elle, ne change pas. Hafez Al-Assad, le père de Bachar, considérait le Liban comme une partie de la Syrie. Mais le nouveau régime peut très bien faire de même. Pas dans l’immédiat, bien sûr, car il doit être reconnu internationalement et pour cela respecter la souveraineté du Liban. Mais la tentation sera forte, dans quelques années, d’influencer le Liban, comme Hafez et Bachar Al-Assad autrefois.
L’État libanais peut-il désormais s’affirmer ?
L’État libanais est failli, et ne survit qu’avec l’aide internationale. Par exemple, le système de distribution d’eau est financé par l’Union européenne. Si elle devait arrêter de payer, le ravitaillement s’effectuerait par camions-citernes… L’État libanais est incapable d’assurer les services d’un véritable État. Il ne paie pas non plus correctement ses fonctionnaires. Il faut savoir que les militaires ne venaient plus au travail car la solde ne leur permettait pas de couvrir le prix du transport entre leur domicile et la caserne. Difficile donc d’imaginer un État qui s’affirme.
De même, il sera difficile à l’armée libanaise de s’ancrer au Sud-Liban, car ils sont mal payés. En 2006, un officier arabe déployé comme superviseur dans cette région m’avait expliqué que l’officier responsable du déploiement était … membre du Hezbollah. Le mélange des genres est tel que l’État ne peut s’appuyer véritablement dessus. Souvenons-nous que Rafiq Hariri (assassiné en 2005, NDLR) avait développé les forces de sécurité intérieure (FSI), la gendarmerie, parce qu’il n’avait pas confiance en l’armée. Il va falloir modifier cet état de fait car les Israéliens frapperont si l’accord n’est pas respecté.