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Le texte ci-dessous est un résumé de l’audition, réalisé par Paulin de Rosny pour la revue Conflit
L’effondrement du régime Assad et ses causes
L’effondrement du régime de Bachar el-Assad, sous-estimé par de nombreux observateurs, a été précipité par un ensemble de facteurs structurels et conjoncturels. L’épuisement des ressources humaines et logistiques, notamment au sein de la communauté alaouite, qui constituait l’épine dorsale du régime, a joué un rôle clé. Un homme sur quatre a été tué et un autre sur quatre blessé pendant la guerre, rendant toute mobilisation supplémentaire quasi impossible.
Le retrait progressif du soutien militaire russe et iranien a accéléré la débâcle du régime. La Russie a commencé à réduire son engagement dès 2021, limitant son soutien aérien et ses livraisons d’armes lourdes au bénéfice du conflit ukrainien. Les forces chiites pro-iraniennes, qui comptaient encore 50 000 combattants en Syrie jusqu’à l’attaque du Hamas contre Israël en octobre 2023, ont progressivement quitté la Syrie pour se redéployer en Irak et au Liban. Téhéran a officiellement dépensé 35 milliards de dollars depuis 2011 pour soutenir la Syrie, un fardeau financier de plus en plus difficile à porter.
Parallèlement, Hayat Tahrir al-Sham (HTS) a su tirer parti de cette fragilité en menant une offensive fulgurante qui a conduit à la chute du régime en seulement douze jours (du 27 novembre au 7 décembre 2024). Cette offensive a été facilitée par des accords tactiques avec la Turquie, qui a autorisé le passage d’armes et de combattants depuis la région d’Idleb. Pour contenir l’avancée turque et protéger les Kurdes, les forces américaines en Syrie ont été renforcées à 2 000 soldats, déployés en grande partie depuis l’Irak.
Les nouveaux maîtres de Damas
HTS, bien que longtemps affilié à Al-Qaïda, cherche à se repositionner sur l’échiquier politique syrien et international. Son leader, Abou Mohammed al-Joulani, tente de rompre avec son passé jihadiste en adoptant un discours plus modéré. Il a engagé une restructuration interne, mettant en place des institutions civiles et une force de police encadrée par des ex-militaires syriens. Cependant, le contrôle territorial de HTS demeure fragile et contesté.
L’un des défis majeurs réside dans la gestion des infrastructures et des ressources. HTS voudrait prendre le contrôle des champs pétroliers de l’est syrien, où se trouve 90 % du pétrole du pays, mais la production journalière est tombée à 100 000 barils, contre 400 000 barils avant-guerre. Les pénuries alimentaires et énergétiques persistent. Le temps moyen d’électricité disponible pour un foyer syrien est d’environ 2 heures par jour aujourd’hui.
La crise économique s’aggrave également en raison de la perte de main-d’œuvre qualifiée. La guerre a provoqué l’exode de 8 millions de réfugiés à l’étranger, avec des conséquences dramatiques sur le développement humain et la reconstruction du pays.
Les gagnants et les perdants de la crise syrienne
L’effondrement du régime syrien a redessiné la carte géopolitique du Moyen-Orient. L’Iran, autrefois acteur dominant en Syrie, perd un allié stratégique et voit son corridor logistique vers le Hezbollah libanais coupé. La Russie, ayant réduit son engagement militaire, cherche désormais à préserver sa base de Hmeimim, bien que la base navale de Tartous ait été évacuée.
En revanche, la Turquie ressort renforcée. Elle a consolidé son influence en soutenant HTS, tout en maintenant une pression militaire sur les Kurdes. Ankara cherche à redessiner la carte du nord de la Syrie et à affaiblir durablement les forces kurdes du YPG. Erdogan mise sur une stabilisation à son avantage, lui permettant d’influencer directement les futures négociations sur l’avenir du pays et d’exploiter les ressources hydrauliques de l’Euphrate à son bénéfice.
Israël profite également de l’affaiblissement de l’axe Iran-Syrie-Hezbollah, réduisant les menaces à sa frontière nord et multipliant les frappes préventives contre les infrastructures militaires pro-iraniennes, en particulier autour de l’aéroport de Damas et des bases de Sayyida Zeinab. Les États-Unis, bien que prudents, se réjouissent de l’effondrement d’un régime qu’ils avaient combattu pendant plus d’une décennie, mais restent préoccupés par la montée en puissance des factions islamistes.
Les scénarios possibles pour la Syrie
L’avenir de la Syrie reste incertain et plusieurs trajectoires sont envisageables. Un premier scénario verrait HTS imposer un émirat islamique inspiré de la charia, consolidant son pouvoir par une gouvernance autoritaire. Un second scénario impliquerait une fragmentation prolongée du pays, avec une mosaïque de zones contrôlées par divers groupes armés et acteurs étrangers, à l’image de la Libye. Un troisième scénario, plus optimiste mais très peu probable à court terme, supposerait une stabilisation sous l’égide d’un accord international, impliquant la Turquie, les pays du Golfe et l’Occident, visant à instaurer une gouvernance inclusive.
Fabrice Balanche met en garde contre une transition démocratique illusoire, en raison de l’érosion du tissu social syrien depuis 2011. L’exode massif des classes moyennes et des minorités a laissé place à une population majoritairement sunnite et conservatrice, rendant difficile l’émergence d’un pouvoir modéré et pluraliste.
Le rôle de la France et de l’Europe
La France, autrefois influente en Syrie, se retrouve aujourd’hui marginalisée. Fabrice Balanche souligne l’urgence pour la diplomatie française de repenser sa stratégie et d’adopter une approche réaliste. La priorité devrait être l’accueil des minorités menacées, notamment les chrétiens et les Alaouites, et d’une manière générale les laïcs, qui risquent des persécutions sous le nouveau régime. En effet les derniers chrétiens, qui ne sont plus que 200 à 300 000 en Syrie aujourd’hui, alors qu’ils étaient un million avant la guerre, sont prêts à partir.
Dans une perspective réaliste, la France devrait également renforcer ses liens avec les acteurs régionaux et s’impliquer davantage dans les discussions internationales pour préserver ses intérêts et éviter un effacement total de son influence. L’Union européenne, quant à elle, doit anticiper les flux migratoires et adapter sa politique en conséquence. La stabilisation de la Syrie reste un enjeu clé pour la gestion des migrations et la sécurité régionale. L’absence de coordination et d’unité entre les États européens affaiblit leur capacité d’action et laisse la main aux puissances régionales et aux États-Unis.