La poche d’Idleb est depuis le printemps 2020 sous le contrôle exclusif de Hayat Tahrir al-Sham (HTS) qui a patiemment éliminé les autres groupes rebelles. Abou Mohammed al-Jolani est le maître incontesté de ce petit émirat islamique où son « gouvernement du salut » impose un totalitarisme islamique sur le modèle de Daesh à Raqqa, mais sans médiatisation des excès sanguinaires et avec un grand sens de la diplomatie à l’égard de la Turquie et des Occidentaux. Car la situation du Front al-Nosra, devenu HTS, à Idleb demeure précaire. Les alliés de Damas veulent en terminer avec ce « Jihadistan ». Certes, HTS n’a pas renouvelé son allégeance à al-Qaïda en juillet 2016 (cf. le chapitre 4) et tente de se normaliser en tant que groupe d’opposition au régime. Mais, on peut douter légitimement de la reconversion d’un personnage du pedigree d’Abou Mohammed al-Jolani engagé en Irak dans les rangs d’al-Qaïda contre les forces américaines dès 2003. Par ailleurs, les unités toujours officiellement liées à al-Qaïda prospèrent à Idleb (le Parti islamique du Turkestan, Huras al-Din, etc.) sous sa protection. Enfin, c’est sur son territoire que fut éliminé le « khalife » de Daesh Abou Bakr al-Baghdadi, en octobre 2019, par un commando américain.
Car Idleb est un refuge aussi pour les anciens de Daesh. Durant l’hiver 2020, l’assaut des loyalistes, appuyées par l’Iran et la Russie, aurait pu être fatal à HTS si la Turquie ne s’était pas interposée. Ankara a déployé 9 000 hommes sur ce territoire pour empêcher les forces gouvernementales de progresser au-delà d’une ligne qui semblait avoir été négociée entre Erdogan et Poutine auparavant. Après l’accord russo-turc du 5 mars 2020, le front s’est stabilisé à Idleb. La superficie de la poche rebelle a diminué de moitié depuis le début de l’offensive loyaliste, en avril 2019. HTS ne détient plus que 3 000 km2 à Idleb, contre 7 000 km2 en avril 2019, et plus de 9 000 km2 en septembre 2017, lorsque l’armée a lancé sa première attaque (carte12).
Extrait de Fabrice Balanche, Les Leçons de la crise syrienne, Odile Jacob, mars 2024